Par Martin Paquette, chargé de projet en histoire
Avez-vous déjà entendu parler du défunt Club Femina? Loin d’être un club de tricot ou encore un équivalent au cercle des fermières, il s’agissait d’un bar discothèque dédié aux femmes travaillant sur les chantiers, à Radisson et à Sakami. C'était un lieu de rassemblement féminin pour socialiser entre deux danses. L’histoire du club Fémina de Radisson remonte à 1974 lorsqu’un groupe de femmes réussit à convaincre la Société d’énergie de la Baie-James de la nécessité de fournir à la femme un endroit qui lui est propre, alors qu’il n'y a que 10% de femmes qui travaillent à la Baie-James à l’époque. L’homme de la Baie-James habitué à la taverne, lieu d’exclusivité masculine jusqu’à la modification de la loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques de 1979, s’en trouvait attiré de voir autant de femmes réunis dans un même endroit.
Logé dans une roulotte de chantier comme beaucoup d’autres infrastructures, le club étonne d’abord par son succès. On dit alors que certains soirs, plus de 1000 bières s’y consomment. Son fonctionnement étonne également. Loin d’être 100% exclusive aux femmes de 18 ans et plus, chacune d’entre elles peuvent inviter deux hommes maximum, dont un des deux doit être son mari. L’hôtesse se porte garante de la bonne conduite de ses invités dans l’établissement. Une fois à l’intérieur, le ou les invités ne sont pas tenus de rester avec leur hôtesse. Par contre, une fois qu’elle décide qu’elle s’en va, l’invité doit lui aussi quitter, et ce peu importe le temps passé ou encore l’heure qu’il est. La formule veillait ainsi à maintenir un ratio acceptable hommes-femmes à l’intérieur et aussi une forme de décorum. En se portant garante de la conduite de l’homme, la femme s’assure qu’il ne se saoule pas trop et qu’il ne cause pas de problème. Les ''malcommodes'' pouvaient se voir barrer de l’endroit, et la femme l’ayant invité, recevoir un avertissement.
Par sa popularité et son fonctionnement, le club réussit à donner un certain pouvoir à la minorité féminine de la Baie-James sur les hommes, le tout laissant place à des situations cocasses. En entrevue, Cécile Leclerc nous apprend que, le samedi soir à la cafétéria du chantier LG-2, il y avait toujours des hommes qui, se faisant charmeurs, l’approchaient en lui demandant si elle allait au club Femina plus tard... Et si elle pouvait les inviter pour leur permettre d’entrer. Toujours en entrevue, Hélène Pelletier raconte que lorsqu’elle arrivait le soir au club, il pouvait y avoir des dizaines d’hommes qui attendaient à l’extérieur et qui suppliaient la première femme qu’ils voyaient de les faire entrer !
Ce billet de blogue est publié dans le cadre du projet Femmes du Nord, une histoire des jamésiennes, grâce au soutien financier de l'Administration régionale Baie-James, du Programme Mitacs, de l'Université du Québec à Chicoutimi, du député d'Ungava.
Photographies :
- P188,S1,D1,P138 : Soirée d'employés LG-3, 1976-1977.
- P188,S1, D1, P92 : Photo chantier LG-3, 1976-1977.
Sources :
- Dimanche matin, 22 octobre1978 ;
- La patrie, 16 juillet 1977 ;
- Progres dimanche, 31 juillet 1977.