Cet article a été initialement publié dans le journal La Sentinelle, le 15 mars 2023.
Par Marie-Claude Duchesne
Toute reproduction intégrale de ce texte est interdite. (L.R.C. (1985), ch. C-42)
Val-d’Or, 17 octobre 1966. Une centaine de personnes sont réunies dans cette assemblée publique, organisée par un comité d’hommes d’affaires. Le maire de Val-d’Or, Wilfrid Sabourin, s’adresse à la petite foule. Il clame qu’il est temps que le Nord de l’Ontario et l’Abitibi-Témiscamingue prennent en main leur développement et se séparent pour créer… Une onzième province canadienne.
Le projet est tout ce qu’il y a de plus sérieux. Le mouvement 11e province a d’abord vu le jour dans le Nord Ontarien, mais ses promoteurs ont vite été convaincus qu’ils devraient s’allier à la région voisine… Et suscite rapidement l’intérêt de notables abitibiens. Alors que le sud du Québec s’apprête à célébrer la modernité avec Expo 67, nombreux sont ceux qui se sentent délaissés au Nord, dans des régions qui se voient vidées de leurs ressources mais pour qui on ne prend même pas la peine d’asphalter les routes d’accès.
Il existe d’ailleurs une affinité certaine entre ces régions : le Nord-Est Ontarien est une région minière et forestière avec une population majoritairement francophone. Quant’à la Baie-James, elle passe de temps à autre entre les juridictions abitibiennes ou saguenéenne, sans jamais avoir sa place. Une bonne proportion de sa population provient de l’Abitibi, et elle en partage aussi la réalité économique : elle est donc incluse dans le projet. Globalement, les partisans de la sécession souhaitent des investissements majeurs dans leur région, des voies d’accès et de meilleurs services.
Les assemblées communautaires se multiplient pour tenter de redessiner la carte du pays, et attirent l’attention de la GRC en 1967. Il faut dire que la situation est déjà tendue : à Montréal, des attentats à la bombe sont revendiqués par la Front de Libération du Québec (FLQ) et le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) est en pleine montée. La confédération est déjà mise à mal quand ce groupe de nordistes parlent de séparation. La GRC enquête sur les meneurs du mouvement, mais semble conclure qu’il s’agît surtout d’un mouvement régionaliste plutôt inoffensif.
Du côté ontarien, le mouvement s’essouffle rapidement. Le gouvernement de la province tue le mouvement sécessionniste dans l’œuf avec des investissements majeurs dans le Nord. S’il fait plus long feu en Abitibi-Témiscamingue, le mouvement s’essouffle au bout de quelques années.
Il faut dire que même au sein des régions concernées, malgré les centaines de participants à chaque assemblée, le mouvement est souvent tourné au ridicule. Les députés locaux y accordent peu de crédibilité, alors que les gens d’affaires hésitent à s’afficher publiquement en faveur du projet, de crainte de perdre des clients. Les membres du comité en garderont d’ailleurs une certaine amertume par la suite. Cela n’empêchera pas M. Sabourin d’être réélu à Val-d’Or en 1968.
Le projet 11e province n’aura pas été totalement vain pour l’Abitibi : le mouvement a eu pour effet d’attirer l’attention politique et des médias de toute la province sur les enjeux importants pour le Nord de l’époque. Le projet qui a rapidement sombré dans l’oubli a permis de faire sortir l’Abitibi de l’anonymat. Quant à la Baie-James qui faisait partie du projet, il lui faudra encore du temps.
Photographies :
- Rencontre entre les maires de 6 municipalités abitibiennes, en 1971. M. Maurice Massé (Maire de Chapais), M. Lucien Tanguay (échevin), M.Gérard Magny (Maire d'Amos), M. Guy Soumis (échevin à Chapais), M. Gérard Poirier (Maire de Lebel-sur-Quévillon), M. Wilfrid Sabourin (Maire de Val-d'Or), M. Claude Roy, (Maire de Barraute), et assis, M. Godefroy de Billy (Maire de Chibougamau). Fonds P33 Godefroy De Billy | P33,S3,SS3,SSS26,D7,P1.
- Carte du projet 11e province. Maurice Roy, dans Le Petit Journal. L'Abitibi veut se séparer du Québec, une onzième province? 13 novembre 1966
Pour aller plus loin :
- Radio-Canada. Quand l'Abitibi-Témiscamingue et le Nord-est ontarien voulaient devenir la 11e province. 16 février 2016.
- Radio-Canada. Quand l’Abitibi rêvait d’être la 11e province du Canada. 24 septembre 2024.