Par Alexandrine Langlois
stagiaire en histoire
Avez-vous déjà imaginé vivre dans le Canada septentrional, loin des centres urbains ? Encore aujourd’hui, et encore plus à l’époque, les voyages dans ces régions isolées nécessitent une grande débrouillardise de la part des hommes et des femmes qui y vivent pendant de longues périodes. C’est le cas de Maud Maloney, qui parcourt le Nouveau-Québec en accompagnant son mari, James « Jim » Watt, au gré des contrats qu’il obtient pour la Compagnie de la Baie d’Hudson.
Le couple est affecté au poste de Fort Chimo (aujourd'hui Kuujjuaq) pendant 3 ans. Craignant la famine suite au manque de ravitaillement du poste, ils doivent toutefois se résoudre à quitter. En 1918, le couple brave la rigueur du climat nordique et entreprend un long périple entre Fort Chimo et Sept-Îles. Le trajet trans-labradorien est ardu, et aucun allochtone n’a encore tenté l’expérience. Maud et Jim doivent parcourir mille kilomètres de taïga, une expédition rude à laquelle seuls les membres des Premières Nations sont familiers et bien équipés. Fort heureusement, le couple ne voyage pas seul. Maud et Jim sont guidés par un groupe d’Innus, habitués à ce type de voyage. Dans ses écrits, Maud exprime une confiance profonde envers eux, les décrivant comme des personnes attachantes et amicales. Notre aventurière semble avoir une profonde admiration pour les Premières Nations, respectant leurs modes de vie et leurs traditions. Sait-elle, sans doute, qu’ils n’y seraient peut-être pas arrivés sans leur aide. Arrivés à Sept-Îles, leur voyage se solde par la rencontre d’Alexandre Taschereau, alors ministre des Travaux publics. Le futur premier ministre partage son admiration aux jeunes aventuriers, un élément important pour la suite de notre histoire.
En 1920, James est affecté au poste de traite Rupert House (aujourd’hui Waskaganish), situé en territoire cri. Le couple s’installe alors sur les rives de la baie James, un lieu dynamique qui attire de nombreux Autochtones et voyageurs allochtones. L’éloignement favorise souvent une certaine convivialité. Ainsi, le poste de traite constitue un point de rassemblement pour ceux qui parcourent les territoires nordiques.
Au cours des années 1920, de plus en plus de trappeurs sillonnent le territoire de la baie James, attirés par l’augmentation du prix mondial de la fourrure. Cette trappe intensive entraîne presque la disparition du castor sur le territoire cri. La situation est critique pour les populations cries et engendre une crise alimentaire. Pour remédier à la situation, le couple décide de créer une réserve de castors, et ce malgré l’opposition de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Devant le refus de leur employeur, Maud et Jim prennent l’initiative de porter leur cause devant le gouvernement provincial.
C’est à Maud que revient le devoir de partir pour Québec, un voyage qu’elle fait accompagnée de deux guides cris, ainsi que de ses deux jeunes enfants. En plein hiver, avec ses enfants, Maud prend son traîneau et ses raquettes, et marche vers la gare la plus proche à 140 km, puis s’embarque en direction de Québec. Arrivée à bon port, Maud se rend au parlement où elle rencontre le premier ministre Taschereau. Et oui ! Devant l’aventurière qu’il a connue jadis, il facilite la tâche : le ministre provincial des Ressources naturelles lui accorde un prêt destiné à la création d’un sanctuaire de castors. De retour à Rupert House, le couple met en place un système de préservation du castor. Ils réussissent ainsi à créer des zones protégées pour sauver le castor, et assurer la survie des Cris de la région. Plus tard, la Compagnie, d’abord réticente au projet, décide d’implanter le même système autour de la Baie-James. Comme quoi !
Pour aller plus loin :
- Serge Bouchard. Elles ont fait l'Amérique. Collection ''De remarquables oubliés'', tome 1. Lux éditeur, 2011.
- Wikipédia : Maud Maloney Watt
- Archives de la revue The Beaver
Photographies :
- Maud Maloney coupe les cheveux de Jim Watt à Fort McKenzie, 1920. Musée McCord, MP-0000.597.510
- Vue de Fort Chimo (aujourd'hui Kuujjuaq), entre 1910 et 1927. Musée McCord, MP-0000.597.524
- Au centre de la photo : Maud Maloney-Watt en compagnie du pilote Thomas Fecteau et de Thérèse Bernier, Rupert House (aujourd'hui Waskaganish), 1952. Société d'histoire de la Baie-James, P171,S2,SS2,D29,P2
- Groupe d'hommes cris travaillant au transfert de castors. Région du lac Soscumica, 1952 ou 1953. Société d'histoire de la Baie-James, P171,S2,SS2,D28,P19
- Vue de Rupert House (Waskaganish) en hiver, vers 1950. Société d'histoire de la Baie-James, fonds P192 Gérald Arbour.
Ce billet de blogue est publié dans le cadre du projet Femmes du Nord, une histoire des jamésiennes, grâce au soutien financier de l'Administration régionale Baie-James, du Programme Mitacs, de l'Université du Québec à Chicoutimi, du député d'Ungava.