Cet article a été publié initialement dans le journal La Sentinelle du 13 février 2024.
Par Marie-Claude Duchesne
Lac aux Doré, 15 mars 1937. Le vrombissement d’un moteur d’avion retenti dans le ciel, alors qu’un homme et une femme se précipitent sur le lac gelé. L’appareil se pose sur la grande étendue blanche, 3 hommes en descendent. Le moteur tourne encore. Le pilote crie au groupe qu’il est pressé, il doit se rendre au grand lac Mistassini. Si sa journée n’était pas aussi chargée, il embarquerait tout ce beau monde pour qu’ils procèdent en vol… au premier mariage célébré au camp minier de Chibougamau.
C’est en novembre 1936 qu’ Yvonne Lafont, 27 ans, débarquait pour la première fois dans la région du lac Chibougamau. Née en 1909, elle est l’aînée d’une famille nombreuse qui a vécu aux quatre coins du Québec. Elle réside à Montréal et travaille comme corsetière, quand elle reçoit, en 1936, une correspondance de son frère. Laurent, prospecteur établi au lac aux Dorés lui demande de l’aide. Son épouse Marguerite a des ennuis de santé et la vie est rude au nord. Yvonne quitte alors son emploi et s’envole vers la vallée du cuivre.
3 semaines après l’arrivée d’Yvonne dans le secteur, c’est au tour de Roméo Coulombe de débarquer au campement. On vient de l’engager comme garde-chasse pour le district. Le jeune homme de 26 ans n’en est pas à sa première visite. C’est un habitué des longs voyages en canot et de la forêt : à 17 ans déjà, il œuvrait comme assistant garde-feu au lac Chibougamau. Il œuvre ensuite au service de la famille McKenzie – prospecteurs de la première heure – puis comme garde-chasse avec son père à Oskélanéo, dans le nord de la Mauricie.
Le Chibougamau de 1936 est un petit monde : tout le monde se connaît. Yvonne et Roméo font rapidement connaissance… Ou peut-être se connaissent-ils déjà ? Marguerite, la belle-sœur dont Yvonne prend soin, est la sœur de Roméo Coulombe. Quoi qu’il en soit, moins de 3 mois après l’affectation de Roméo, le jeune couple s’unit pour la vie.
Dans les jours qui précèdent, il y a fort à faire. Roméo a reçu un habit neuf de Québec et organise la venue du curé et des pères des futurs mariés. Il n’y a évidemment pas d’église au campement : le curé du village de Parent, en Mauricie, viendra en avion. Yvonne s’emploie à repeindre les murs et les meubles de leur futur foyer. Elle s’est aussi procuré ce qu’il faut pour faire un gâteau au chocolat, qu’elle range bien à l'abri dans l’armoire fraîchement repeinte.
Le grand jour arrive et on guette le ciel. Aux premiers vrombissements de moteurs, Yvonne file se changer, puis se précipite vers le lac. Roméo qui s’était éloigné en forêt n’a pas le temps de faire de même. Son habit neuf reste dans sa boîte, alors qu’il se présente à l’avion avec sa vieille chemise et ses bottes de caoutchouc. Le pilote est clair : il doit aller à Mistissini mais ne traînera pas. Ils n’ont pas beaucoup de temps. Les pères des futurs mariés descendent avec un prêtre, habillé d’un imposant manteaux de fourrure. Il traîne ses registres et une bouteille de sirop pour la toux… remplie d’eau bénite.
C’est sur le lac aux Doré, dans le silence de la forêt et sans autres témoins qu’Yvonne Lafont unit sa vie à celle de Roméo Coulombe. Ils sont heureux. La nouvelle mariée s’empresse de servir un morceau de gâteau à ses invités avant que l’avion ne revienne… Un gâteau qui s’est transformé en pierre et qui a absorbé le goût de la peinture fraîche de l’armoire. L’avion réapparaît rapidement dans le ciel, et les parents repartent, laissant les nouveaux mariés à nouveau seuls.
La noce est soulignée comme il se doit en soirée. Les membres de la communauté crie et les prospecteurs des environs se pointent avec leurs attelages de chiens. On joue de la musique, on chante, on fait des tours de traîneaux sur le lac. On sort les bouteilles d’alcool de contrebande alors que Bill Lafontaine – agent du bureau des mines – cuisine le un rôti d’orignal.
Roméo Coulombe et Yvonne Lafont s'enracinent. Alors que le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale pousse les prospecteurs à quitter la région, ils font partie des rares personnes à rester. Lui, œuvre toujours comme garde-chasse. Elle, est la première opératrice de la seule ligne de téléphone qui brise l’isolement du campement. Proche de la communauté crie, elle joue souvent le rôle d’intermédiaire pour la communauté et transmet les demandes de services médicaux et requêtes au gouvernement. La fin de la guerre marque le retour des prospecteurs, des compagnies minières, puis la naissance d’une ville. Roméo Coulombe et Yvonne Lafont vivront à Chibougamau jusqu’en 1962.
Photographies :
- Mariage de Roméo Coulombe et d'Yvonne Lafont. Lac aux Dorés, mars 1937. P5 SHBJ | P5,S2,SS4,D57,P16
- Roméo Coulombe et Yvonne Lafont, lors de l'inauguration du téléphone. Campement minier de Chibougamau, février 1939. P5 SHBJ | P5,S2,SS4,D57,P12
- Roméo Coulombe et Yvonne Lafont, lors de l'inauguration du téléphone. Campement minier de Chibougamau, février 1939. P5 SHBJ | P5,S2,SS4,D57,P41
Pour aller plus loin :
- Article : Le premier couple marié à Chibougamau. Saguenayensia, vol. 1, no. 1, 1959.
- Exposition virtuelle : Au delà de la route, Chibougamau. Société d'histoire de la Baie-James