Cette chronique a été publiée dans le journal La Sentinelle, le 12 octobre 2022.
Par Marie-Claude Duchesne
Toute reproduction intégrale de ce texte est interdite. L.R.C. (1985), ch. C-42
Chibougamau, 17 octobre 1958. Le maire Godefroy de Billy fait une grande annonce à la population. La jeune municipalité, qui n’a pas encore soufflé ses 5 bougies, a été choisie pour faire partie d’un programme de défense nationale. Le gouvernement prévoit l’installation d’une de surveillance base radar au mont Bourbeau, faisant entrer Chibougamau dans la Guerre Froide.
Les premiers postes de radar sont installés au Canada dès 1942. Ils sont toutefois démantelés à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. En 1946 toutefois, alors que la Guerre froide se prépare et que la tension monte entre les États-Unis et l’URSS, les autorités canadiennes envisagent la construction d'une nouvelle ligne de radars. Couvrant tout le territoire d’un Océan à l’autre, elle doit permettre de prévenir une éventuelle attaque soviétique. La technologie de l'époque n’est toutefois pas assez fiable et le projet est mis sur la glace dès l’année suivante.
En 1949, les tensions grandissantes entre les blocs de l’Ouest (États-Unis et OTAN) et de l’Est (URSS et Pacte de Varsovie) poussent finalement le gouvernement canadien à mettre en œuvre son plan de surveillance. C’est ainsi que la construction des réseaux de bases radars est mis en branle, afin de détecter la présence d’avions soviétiques sur le territoire. La construction du réseau Pinetree Line, le long des 49e et 50e parallèles, débute en 1951. Six ans plus tard, on compte déjà 39 sites qui tapissent le territoire. Le Ministère de la Défense étudie un moment la possibilité d'installer une base de surveillance radar sur le mont Springer de Chapais, mais fixe finalement son choix sur le mont Bourbeau.
À Chibougamau, la construction des installations militaires débute au cours de l’été 1960. À cela s'ajoutent 114 logements destinés aux futures familles de militaires. Deux ans plus tard, la base est opérationnelle et la construction des installations se termine. Rapidement, la base qui accueille le 10e Escadron Radar est intégrée au système de défense SAGE (Semi-Automatic Ground Environment System). Le 26 septembre 1967, la base radar obtient le statut de Station des Forces Canadiennes (SFC).
Les occupants de la base militaire, construite à même la ville, s’intègrent rapidement à la vie locale. On y opère la première station de radio communautaire de la ville. Les militaires en poste contribuent à la vitalité économique de Chibougamau et offrent un support important lors de catastrophes, comme les feux de forêts ou des opérations de recherches et sauvetages.
L’importance des lignes de surveillance radar diminue toutefois rapidement. Au début des années 1960, la menace des missiles remplace celle des avions bombardiers. Plusieurs installations de surveillance, qui viennent à peine d’être construites, deviennent obsolètes. La ligne Mid Canada est démantelée dès 1965. Au cours des années suivantes, 9 stations de la ligne Pinetree sont fermées. En 1983, il ne reste que 21 stations modernisées de la ligne DEW et 24 stations de la ligne Pinetree en service.
Cette même année, la Défense nationale réoriente son système de surveillance aérienne avec l’utilisation de satellites. Ce changement stratégique pousse la fermeture de plusieurs stations, comme celle de Chibougamau. Le 10e Escadron Radar est dissout en avril 1987 et les installations de la base sont démantelées ou vendues l’année suivante.
La fermeture de la station, qui emploie environ 120 militaires et 80 civils, porte un coup dur à la municipalité. Le moment est bien mal venu : l'industrie minière locale est aussi en crise et près de la moitié des emplois de mineurs ont été perdus. La fermeture de la station radar est difficile à encaisser pour la communauté chibougamoise.
Aujourd’hui il reste bien peu de traces qui rappellent cette histoire. Il subsiste une rue des Forces Armées. La salle du club de golf qui faisait jadis office de Mess pour les militaires. Un monument commémoratif de la présence du radar. Une rue des Forces Armées. Deux escadrons de cadets de l’Aviation… et toujours des boules blanches qui dominent la montagne.
Photographies :
- Construction de la station radar, 1961. Fonds P166 Ewan Lowe | P166,S1,D6,P8
- Emblème de la Station des Forces Canadienne de Chibougamau.
- Installations du Radar, vers 1965. Fonds Godefroy De Billy | P33,S3,SS4,SSS6,D3,P1
- Vue aérienne de Chibougamau, 1974. Le quartier de la base militaire à l'avant-plan. Collection P5 SHBJ | P5,S2,SS4,D27,P2
- Représentation des lignes DEW, Mid Canada et Pinetree. Wikimedia Commons.
- Radar du mont Bourbeau, 2012. Simon Villeneuve, Wikimedia Commons.
Pour aller plus loin :
- SFC Chibougamau sur Wikipédia.
- Fonds P88 Comité de relance de la base militaire. Société d'histoire de la Baie-James.
- Fonds P96 Hector David. Société d'histoire de la Baie-James.